DSC_0010

Écrire quoi, proposer quoi ?

Je marche je marche quand je ne sais pas   Ne pas faire venir les mots qui fâchent   C’est quoi les mots qui fâchent   Les mots qui font mal   Ne pas les provoquer parce qu’écrire les mots qui font mal peut faire encore plus mal   Mais aussi ça soulage   Ça peut faire crier   Et pleurer – et s’ils pleurent je fais quoi, je ne sais pas moi, je fais quoi ?

C’était poisseux ce matin. Pas pareil. Et on le sait, même quand on ne sait pas comment c’est vraiment quand ça ne l’est pas comme ça.

De quoi on parle, on écrit quoi ?

Le genêt, ok, c’est joli le genêt et y en a plein la Bretagne, d’ailleurs c’est là qu’habite sa grand-mère et il nous parle d’elle qui le fouettait avec, ça fait un peu rire c’est bien, et puis ça sent bon, il s’en souvient, c’est vrai, on parle vanille et noix de coco, oui ça fait du bien, puis ça fait parler d’autre chose.
Surtout que tout le monde ne sait pas.
Y a des visages moins tendus que d’autres, y a des sourires comme d’habitude, mais y a le poisseux jusque devant les yeux qui colle comme la résine sur les doigts.

Au coin des pouces, y a les p’tites peaux qu’on s’arrache.

Je marche quand je ne trouve pas    Quand je tourne en rond dans ma tête    Je marche je marche je ne pense à rien    Les pensées décident seules    D’aller dans les arbres ou de passer sans les voir  –   bien sûr que je les ai vus    Les bourgeons dans le figuier    D’ailleurs je fais demi-tour et cueille un rameau    Mais je le lâche et je décampe   Le cœur au galop    Deux molosses après moi    Connards    Depuis quand ils aiment les figues    Les clébards  –  oh et puis ça va ça va    Connards    Je reviens sur mes pas.

C’est délicat, un bourgeon.
C’est émouvant, la petite feuille toute fripée dedans,
tu feras un beau figuier, tu sentiras bon.

Écrire quoi, proposer quoi ?

Les cœurs étaient trop gros pour les cages thoraciques, et les souffles pas bien longs, le poisseux collait sur les portes et dans les yeux de tout le monde des deux côtés des barreaux, ça colle partout des matins comme ça, pas de traces, pas d’explications, et pour le moins pire, quand il en reste, les p’tites peaux qu’on s’arrache.

Je regarde autour    Pas de molosses    Je cueille un souci    Du pétant    Du couchant au bout d’une tige    Des clochettes    Du myosotis    Des pervenches    Une grosse pâquerette un peu beaucoup passionnément    Tiens, du genêt

Écrire, proposer quoi ?

Je tourne en rond    Je fais des ronds    J’ai pas de vase    Je vide dans l’évier une bouteille de soupe de poisson – est-ce que les fleurs passent sous les portiques de surveillance ? C’est ridicule et de toutes façons les fleurs, c’est comme les oiseaux, on croit que ça fait écrire de la poésie, mais ça suffit pas. Comment on fait de la poésie avec ça, je sais pas. Peut-être en glisser quelques-unes, bien à plat dans un papier mouillé, ça se verra pas, est-ce que ça fait de la poésie des fleurs dans un papier – est-ce que ça peut aider à garder, au coin des pouces, un peu de sa peau ?

Peut-être    Je ne sais pas    Ça met de la couleur    Un peu de doux sur le poisseux    Avant de retourner dans le noir    De taper contre les portes pour dire la rage    Ils font ça    C’est le code    Le soir qui suit    Ils s’énervent    Ils rient jaune    On a mal    On a peur    On fout le waï    Quand y en a un de la maison    Qui a décidé de partir pour de bon    Juste avant le p’tit matin    Pour le jugement dernier    Direct.

   – Les fourmis se cachent de la pluie sous une fleur jaune : ça fait de la poésie, madame, si j’écris ça ?

Par Laurence Vilaine